• Le héron que présente la Fontaine est un maniaque, esclave de ses habitudes et aussi d’un reste d’orgueil que les nécessités de l’existence transforment vite en une passive résignation. Mais la Fontaine s’amuse là où Michelet dans le texte "le héron" médite ; et le personnage dont la silhouette est esquissée à la manière d’une caricature n’est que le héros ridicule d’une comédie malicieuse.

     Le héron

    Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,

    Le Héron au long bec emmanché d’un long cou :

    Il côtoyait une rivière.

    L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;

    Ma commère la Carpe y faisait mille tours

    Avec le brochet son compère

    Le héron en eût fait aisément son profit :

    Tous approchaient du bord ; l’oiseau n’avait qu’à prendre.

    Mais il crut mieux faire d’attendre

    Qu’il eût un peu plus d’appétit :

    Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.

    Après quelques moments, l’appétit vient : l’Oiseau,

    S’approchant du bord, vit sur l’eau

    Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.

    Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,

    Et montrait un goût dédaigneux,

    Comme le rat du bon Horace.

    « Moi, des tanches ! dit-il, moi, héron, que je fasse

    Une si pauvre chère ? Et pour qui me pend-on ?

    La tanche rebutée, il trouva du goujon.

    « Du goujon ! C’est bien là le dîner d’un Héron !

    J’ouvrirais pour si peu le bec ! Aux Dieux ne plaise ! »

    Il l’ouvrit pour bien moins : tout alla de façon

    Qu’il ne vit plus aucun poison.

    La faim le prit : il fut tout heureux et tout aise

    De rencontrer un limaçon.

    Ne soyons pas si difficiles :

    Les plus accommodants, ce sont les plus habiles ;

    On hasarde de perdre en voulant trop gagner.

    Gardez-vous de rien dédaigner.

    La fontaine, Fables, VII.

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  • Le chêne et le Roseau

    Le chêne un jour dit au roseau :

    « Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;

    Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.

    Le moindre vent, qui d’aventure

    Fait rider la face de l’eau,

    Vous oblige à baisser la tête :

    Cependant que mon front, au Caucase pareil,

    Non content d’arrêter les rayons du soleil,

    Brave l’effort de la tempête.

    Tout pour vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.

    Encore si vous naissiez à l’abri du feuillage

    Dont je couvre le voisinage,

    Vous n’auriez pas tant à souffrir :

    Je vous défendrais de l’orage ;

    Mais vous naissez le plus souvent

    Sur les humides bords des Royaumes du vent.

    La nature envers vous me semble bien injuste

    -Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,

    Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.

    Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.

    Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici

    Contre leurs coups épouvantables

    Résisté sans courber le dos ;

    Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,

    Du bout de l’horizon accourt avec furie

    Le plus terrible des enfants

    Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.

    L’arbre tient bon, le Roseau plie.

    Le vent redouble ses efforts,

     

    Et fait si bien qu’il déracine

    Celui d qui la tête au Ciel était voisine

    Et dont les pieds touchaient l’Empire des Morts.

    La fontaine, Fables I, 22


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