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    Philosophe méditant par Rembrandt

     

    Les Stances

     (Extraits)

     

    Les roses que j’aimais s’effeuillent chaque jour ;

    Toute saison n’est pas aux blondes pousses neuves ;

    Le zéphyr a soufflé trop longtemps ; c’est le tour

    Du cruel aquilon qui condense les fleuves.

     

    Vous faut-il, Allégresse, enfler ainsi la voix,

    Et ne savez-vous point que c’est grande folie,

    Quand vous venez sans cause agacer sous mes doigts

    Une corde vouée à la Mélancolie ?

     

    Calliope, Erato, filles de Jupiter,

    Je vous invoque ici sur la harpe sonore ;

    Je le faisais enfant, et bientôt mon hiver

    Passera mon automne et mon printemps encore

     

    Quelle bizarre Parque au cœur capricieux

    Veut que le sort me flatte au moment qu’il me brave ?

    Les maux les plus ingrats me sont présents des dieux,

    Je trouve dans ma cendre un goût de miel suave.

     

    J’ai choisi cette rose au fond d’un vieux panier

    Que portait par la rue une marchande rousse ;

    Ses pétales sont beaux du premier au dernier,

    Sa pourpre vigoureuse en même temps est douce.

     

    Vraiment d’une autre rose elle diffère moins

    Que la lanterne fait d’une vessie enflée :

    A ne s’y pas tromper qu’un sot mette ses soins,

    Mais la perfection est chose plus celée.

     

    Ne dites pas : la vie est un joyeux festin ;

    Ou c’est d’un esprit sot ou c’est d’une âme basse.

    Surtout ne dites point : elle est malheur sans fin ;

    C’est d’un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.

     

    Riez comme au printemps s’agitent les rameaux,

    Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève,

    Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux ;

    Et dites : c’est beaucoup et c’est l’ombre d’un rêve.

     

    Jean Moréas


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  • Œuvre - Nymphe des bois - Ludwig Adrian Richter

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    Elle était déchaussée, elle était décoiffée ...

     

    Elle était déchaussée, elle était décoiffée,

    Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;

    Moi qui passais par là, je crus voir une fée,

    Et je lui dis: Veux-tu t'en venir dans les champs ?

     

     Elle me regarda de ce regard suprême

    Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,

    Et je lui dis: Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,

    Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

     

     Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ;

    Elle me regarda pour la seconde fois,

    Et la belle folâtre alors devint pensive.

    Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

     

    Comme l'eau caressait doucement le rivage !

    Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,

    La belle fille heureuse, effarée et sauvage,

    Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

     

    Victor Hugo (1802-1885)


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