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    Si tu veux, faisons un rêve

     

    Si tu veux, faisons un rêve :

    Montons sur deux palefrois;

    Tu m'emmènes, je t'enlève.

    L'oiseau chante dans les bois.

     

    Je suis ton maître et ta proie;

    Partons ! c'est la fin du jour;

    Mon cheval sera la joie,

    Ton cheval sera l'amour.

     

    Viens ! nos doux chevaux mensonges

    Frappent du pied tous les deux,

    Le mien au fond de mes songes,

    Et le tien au fond des cieux.

     

    Un bagage est nécessaire;

    Nous emporterons nos vœux,

    Nos bonheurs, notre misère,

    Et la fleur de tes cheveux.

     

    Viens, le soir brunit les chênes;

    Le moineau rit; ce moqueur

    Entend le doux bruit des chaînes

    Que tu m'as mises au cœur.

     

    Ce ne sera point ma faute

    Si les forêts et les monts,

    En nous voyant côte à côte,

    Ne murmurent pas : aimons !

     

    Allons-nous en par l'Autriche !

    Nous aurons l'aube à nos fronts;

    Je serai grand, et toi riche,

    Puisque nous nous aimerons !

     

    Allons-nous en par la terre,

    Sur nos deux chevaux charmants,

    Dans l'azur, dans le mystère,

    Dans les éblouissements !

     

    Tu seras Dame, et moi Comte;

    Viens, mon cœur s'épanouit;

    Viens, nous conterons ce conte

    Aux étoiles de la nuit.

     

    (Victor Hugo)


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  • Charles-Marie LECONTE DE LISLE   (1818-1894)

     

     

    Vénus de Milo

     

    Marbre sacré, vêtu de force et de génie,

    Déesse irrésistible au port victorieux,

    Pure comme un éclair et comme une harmonie,

    O Vénus, ô beauté, blanche mère des Dieux !

     

    Tu n'es pas Aphrodite, au bercement de l'onde,

    Sur ta conque d'azur posant un pied neigeux,

    Tandis qu'autour de toi, vision rose et blonde,

    Volent les Rires d'or avec l'essaim des Jeux.

     

    Tu n'es pas Kythérée, en ta pose assouplie,

    Parfumant de baisers l'Adonis bienheureux,

    Et n'ayant pour témoins sur le rameau qui plie

    Que colombes d'albâtre et ramiers amoureux.

     

    Et tu n'es pas la Muse aux lèvres éloquentes,

    La pudique Vénus, ni la molle Astarté

    Qui, le front couronné de roses et d'acanthes,

    Sur un lit de lotos se meurt de volupté.

     

    Non ! les Rires, les Jeux, les Grâces enlacées,

    Rougissantes d'amour, ne t'accompagnent pas.

    Ton cortège est formé d'étoiles cadencées,

    Et les globes en choeur s'enchaînent sur tes pas.

     

    Du bonheur impassible ô symbole adorable,

    Calme comme la Mer en sa sérénité,

    Nul sanglot n'a brisé ton sein inaltérable,

    Jamais les pleurs humains n'ont terni ta beauté.

     

    Salut ! A ton aspect le coeur se précipite.

    Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs ;

    Tu marches, fière et nue, et le monde palpite,

    Et le monde est à toi, Déesse aux larges flancs !

     

    Iles, séjour des Dieux ! Hellas, mère sacrée !

    Oh ! que ne suis-je né dans le saint Archipel,

    Aux siècles glorieux où la Terre inspirée

    Voyait le Ciel descendre à son premier appel !

     

    Si mon berceau, flottant sur la Thétis antique,

    Ne fut point caressé de son tiède cristal ;

    Si je n'ai point prié sous le fronton attique,

    Beauté victorieuse, à ton autel natal ;

     

    Allume dans mon sein la sublime étincelle,

    N'enferme point ma gloire au tombeau soucieux ;

    Et fais que ma pensée en rythmes d'or ruisselle,

    Comme un divin métal au moule harmonieux.

     

    Charles-Marie LECONTE DE LISLE   (1818-1894)



     


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