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    Tu m'as trouvé

     

    Tu m'as trouvé comme un caillou que l'on ramasse sur la plage

    Comme un bizarre objet perdu dont nul ne peut dire l'usage

    Comme l'algue sur un sextant qu'échoue à terre la marée

    Comme à la fenêtre un brouillard qui ne demande qu'à entrer

    Comme le désordre d'une chambre d'hôtel qu'on n'a pas faite

    Un lendemain de carrefour dans les papiers gras de la fête

    Un voyageur sans billet assis sur le marchepied du train

    Un ruisseau dans leur champ détourné par les mauvais riverains

    Une bête des bois que les autos ont prise dans leurs phares

    Comme un veilleur de nuit qui s'en revient dans le matin blafard

    Comme un rêve mal dissipé dans l'ombre noire des prisons

    Comme l'affolement d'un oiseau fourvoyé dans la maison

    Comme au doigt de l'amant trahi la marque rouge d'une bague

    Une voiture abandonnée au milieu d'un terrain vague

    Comme une lettre déchirée éparpillée au vent des rues

    Comme le hâle sur les mains qu'a laissé l'été disparu

    Comme le regard égaré de l'être qui voit qu'il s'égare

    Comme les bagages laissés en souffrance dans une gare

    Comme une porte quelque part ou peut-être un volet qui bat

    Le sillon pareil du cœur et de l'arbre où la foudre tomba

    Une pierre au bord de la route en souvenir de quelque chose

    Un mal qui n'en finit pas plus que la couleur des ecchymoses

    Comme au loin sur la mer la sirène inutile d'un bateau

    Comme longtemps après dans la chair la mémoire du couteau

    Comme le cheval échappé qui boit l'eau sale d'une mare

    Comme un oreiller dévasté par une nuit de cauchemars

    Comme une injure au soleil avec de la paille dans les yeux

    Comme la colère à revoir que rien n'a changé sous les cieux

    Tu m'as trouvé dans la nuit comme une parole irréparable

    Comme un vagabond pour dormir qui s'était couché dans l'étable

    Comme un chien qui porte un collier aux initiales d'autrui

    Un homme des jours d'autrefois empli de fureur et de bruit

     

     

    Louis Aragon (‘Le roman inachevé ‘, 1956)


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  • Marc CHAGALL : "Les amoureux Au-dessus de la ville"


    Ecoute…

     

    Ecoute, apprendras-tu à m’écouter de loin,

    Il s’agit de pencher le cœur plus que l’oreille,

    Tu trouveras en toi des ponts et des chemins

    Pour venir jusqu’à moi qui regarde et qui veille.

     

    Qu’importe en sa longueur l’Océan Atlantique,

    Les champs, les bois, les monts qui sont entre nous deux,

    L’un après l’autre un jour il faudra qu’ils abdiquent

    Lorsque de ce côté tu tourneras les yeux.

     

    Jules Supervielle

    (« Le forçat innocent », 1930)

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