• Si tu veux

     

    Si tu veux je te donnerai

    Mon matin mon matin gai

    Avec tous mes clairs cheveux

    Que tu aimes

    Mes yeux verts

    Et dorés

    Si tu veux

    Je te donnerai tout le bruit

    Qui se fait

    Quand le matin s’éveille

    Au soleil

    Et l’eau qui coule

    Dans la fontaine

    Tout auprès

    Et puis encore le soir qui viendra vite

    Le soir de mon âme triste

    A pleurer

    Et mes mains toutes petites

    Avec mon cœur qu’il faudra près du tien

    Garder

     

    Guillaume Apollinaire (« il y a », 1910)


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  • Amour - Victor Hugo

     

    Amour! "Loi", dit Jésus. "Mystère", dit Platon.

    Sait-on quel fil nous lie au firmament? Sait-on

    Ce que les mains de Dieu dans l'immensité sèment?

    Est-on maître d'aimer? Pourquoi deux, êtres s'aiment,

    Demande à l'eau qui court, demande à l'air qui fuit,

    Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,

    Au rayon d'or qui veut baiser la grappe mûre!

    Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure!

    Demande aux nids profonds qu'avril met en émoi

    Le cœur éperdu crie: Est-ce que je sais, moi?

    Cette femme a passé: je suis fou. C'est l'histoire.

    Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire;

    En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,

    Illumination du jour, elle passait;

    Elle allait, la charmante, et riait, la superbe;

    Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l'herbe;

    Un oiseau bleu volait dans l'air, et me parla;

    Et comment voulez-vous que j'échappe à cela?

    Est-ce que je sais, moi? c'était au temps des roses;

    Les arbres se disaient tout bas de douces choses;

    Les ruisseaux l'ont voulu, les fleurs l'ont comploté.

    J'aime! -- O Bodin, Vouglans, Delancre! prévôté,

    Bailliage, châtelet, grand'chambre, saint-office,

    Demandez le secret de ce doux maléfice

    Aux vents, au frais printemps chassant l'hiver hagard,

    Au philtre qu'un regard boit dans l'autre regard,

    Au sourire qui rêve, à la voix qui caresse,

    A ce magicien, à cette charmeresse!

    Demandez aux sentiers traîtres qui, dans les bois,

    Vous font recommencer les mêmes pas cent fois,

    A la branche de mai, cette Armide qui guette,

    Et fait tourner sur nous en cercle sa baguette!

    Demandez à la vie, à la nature, aux cieux,

    Au vague enchantement des champs mystérieux!

    Exorcisez le pré tentateur, l'antre, l'orme!

    Faite, Cujas au poing, un bon procès en forme

    Aux sources dont le cœur écoute les sanglots,

    Au soupir éternel des forêts et des flots.

    Dressez procès-verbal contre les pâquerettes

    Qui laissent les bourdons froisser leurs collerettes;

    Instrumentez; tonnez. Prouvez que deux amants

    Livraient leur âme aux fleurs, aux bois, aux lacs dormants,

    Et qu'ils ont fait un pacte avec la lune sombre,

    Avec l'illusion, l'espérance aux yeux d'ombre,

    Et l'extase chantant des hymnes inconnus,

    Et qu'ils allaient tous deux, dès que brillait

    Vénus, Sur l'herbe que la brise agite par bouffées,

    Danser au bleu sabbat de ces nocturnes fées,

    Éperdus, possédés d'un adorable ennui,

    Elle n'étant plus elle et lui n'étant plus lui!

    Quoi! Nous sommes encore aux temps où la Tournelle,

    Déclarant la magie impie et criminelle,

    Lui dressait un bûcher par arrêt de la cour,

    Et le dernier sorcier qu'on brûle, c'est l'Amour!

     

    Victor Hugo, Juillet 1843.


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