• Pablo Picasso Jacqueline avec les fleurs 1954


    Guillaume Apollinaire , Alcools (1913)

    Les fiançailles

    A Picasso

     

    Le printemps laisse errer les fiancés parjures

    Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues

    Que secoue le cyprès où niche l'oiseau bleu

     

    Une Madone à l'aube a pris les églantines

    Elle viendra demain cueillir les giroflées

    Pour mettre aux nids des colombes qu'elle destine

    Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet

     

    Au petit bois de citronniers s'énamourèrent

    D'amour que nous aimons les dernières venues

    Les villages lointains sont comme les paupières

    Et parmi les citrons leurs coeurs sont suspendus

     Mes amis m'ont enfin avoué leur mépris

    Je buvais à pleins verres les étoiles

    Un ange a exterminé pendant que je dormais

    Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries

    De faux centurions emportaient le vinaigre

    Et les gueux mal blessés par l'épurge dansaient

    Étoiles de l'éveil je n'en connais aucune

    Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune

    Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas

    A la clarté des bougies tombaient vaille que vaille

    Des faux cols sur les flots de jupes mal brossées

    Des accouchées masquées fêtaient leur relevailles

    La ville cette nuit semblait un archipel

    Des femmes demandaient l'amour et la dulie

    Et sombre sombre fleuve je me rappelle

    Les ombres qui passaient n'étaient jamais jolies

     Je n'ai plus même pitié de moi

    Et ne puis exprimer mon tourment de silence

    Tous les mots que j'avais à dire se sont changés en étoiles

    Un Icare tente de s'élever jusqu'à chacun de mes yeux

    Et porteur de soleils je brûle au centre de deux nébuleuses

    Qu'ai-je fait aux bêtes théologales de l'intelligence

    Jadis les morts sont revenus pour m'adorer

    Et j'espérais la fin du monde

    Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan

     J'ai eu le courage de regarder en arrière

    Les cadavres de mes jours

    Marquent ma route et je les pleure

    Les uns pourrissent dans les églises italiennes

    Ou bien dans de petits bois de citronniers

    Qui fleurissent et fructifient

    En même temps et en toute saison

    D'autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes

    Où d'ardents bouquets rouaient

    Aux yeux d'une mulâtresse qui inventait la poésie

    Et les roses de l'électricité s'ouvrent encore

    Dans le jardin de ma mémoire

     Pardonnez-moi mon ignorance

    Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers

    Je ne sais plus rien et j'aime uniquement

    Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes

    Je médite divinement

    Et je souris des êtres que je n'ai pas créés

    Mais si le temps venait où l'ombre enfin solide

    Se multipliait en réalisant la diversité formelle de mon amour

    J'admirerais mon ouvrage

    J'observe le repos du dimanche

    Et je loue la paresse

    Comment comment réduire

    L'infiniment petite science

    Que m'imposent mes sens

    L'un est pareil aux montagnes au ciel

    Aux villes à mon amour

    Il ressemble aux saisons

    Il vit décapité sa tête est le soleil

    Et la lune son cou tranché

    Je voudrais éprouver une ardeur infinie

    Monstre de mon ouïe tu rugis et tu pleures

    Le tonnerre te sert de chevelure

    Et tes griffes répètent le chant des oiseaux

    Le toucher monstrueux m'a pénétré m'empoisonne

    Mes yeux nagent loin de moi

    Et les astres intacts sont mes maîtres sans épreuve

    La bête des fumées a la tête fleurie

    Et le monstre le plus beau

    Ayant la saveur du laurier se désole

     A la fin les mensonges ne me font plus peur

    C'est la lune qui cuit comme un oeuf sur le plat

    Ce collier de gouttes d'eau va parer la noyée

    Voici mon bouquet de fleurs de la Passion

    Qui offrent tendrement deux couronnes d'épines

    Les rues sont mouillées de la pluie de naguère

    Des anges diligents travaillent pour moi à la maison

    La lunbe et la tristesse disparaîtront pendant

    Toute la sainte journée

    Toute la sainte journée j'ai marché en chantant

    Une dame penchée à sa fenêtre m'a regardé longtemps

    M'éloigner en chantant

     Au tournant d'une rue je vis des matelots

    Qui dansaient le cou nu au son d'un accordéon

    J'ai tout donné au soleil

    Tout sauf mon ombre

     

    Les dragues les ballots les sirènes mi-mortes

    A l'horizon brumeux s'enfonçaient les trois-mâts

    Les vents ont expiré couronnés d'anémones

    O Vierge signe pur du troisième mois

    Templiers flamboyants je brûle parmi vous

    Prophétisons ensemble ô grand maître je suis

    Le désirable feu qui pour vous se dévoue

    Et la girande tourne ô belle ô belle nuit

     

    Liens déliés par une libre flamme Ardeur

    Que mon souffle éteindra O Morts à quarantaine

    Je mire de ma mort la gloire et le malheur

    Comme si je visais l'oiseau de la quintaine

     

    Incertitude oiseau feint peint quand vous tombiez

    Le soleil et l'amour dansaient dans le village

    Et tes enfants galants bien ou mal habillés

    Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage



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  • Le Printemps radieux chez Giuseppe Arcimboldo est présenté en une jeune fille. C'est la saison du beau temps et du renouveau et les fleurs éclosent, chassant la tristesse et la grisaille de l'hiver. Le visage aux joues roses est composé de lys, de pivoines, de roses, d'églantines, d'anémones. Un lys épanoui décore la chevelure, allusion à la prétention des Habsbourg de descendre d'Hercule. En effet, la légende dit que le lys naquit du lait que donnait Junon à Hercule. La collerette est faite de fleurs blanches et le vêtement de feuillage.

    Printemps

     

    Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux ;

    Les oiseaux semblent d'air et de lumière fous ;

    L'âme dans l'infini croit voir un grand sourire.

    À quoi bon exiler, rois ? À quoi bon proscrire ?

    Proscrivez-vous l'été ? M’exilez-vous des fleurs ?

    Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs,

    Les clartés, d'être là, sans joug, sans fin, sans nombre,

    Et de me faire fête, à moi banni, dans l'ombre ?

    Pouvez-vous m'amoindrir les grands flots haletants,

    L'océan, la joyeuse écume, le printemps

    Jetant les parfums comme un prodigue en démence,

    Et m'ôter un rayon de ce soleil immense ?

    Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez,

    Et tâchez d'être rois longtemps, si vous pouvez.

    Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille,

    Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille,

    Et je l'emporte, ayant pour conquête une fleur.

    Quand, au-dessus de moi, dans l'arbre, un querelleur,

    Un mâle, cherche noise à sa douce femelle,

    Ce n'est pas mon affaire et pourtant je m'en mêle,

    Je dis : Paix là, messieurs les oiseaux, dans les bois !

    Je les réconcilie avec ma grosse voix ;

    Un peu de peur qu'on fait aux amants les rapproche.

    Je n'ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche ;

    Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer,

    Mon bassin n'est pas grand, mais il n'est pas amer.

    Ce coin de terre est humble et me plaît ; car l'espace

    Est sur ma tête, et l'astre y brille, et l'aigle y passe,

    Et le vaste Borée y plane éperdument.

    Ce parterre modeste et ce haut firmament

    Sont à moi ; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe

    M'aiment, et je sens croître en moi l'oubli superbe.

    Je voudrais bien savoir comment je m'y prendrais

    Pour me souvenir, moi l'hôte de ces forêts,

    Qu'il est quelqu'un, là-bas, au loin, sur cette terre,

    Qui s'amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre,

    Puisque je suis là seul devant l'immensité,

    Et puisqu'ayant sur moi le profond ciel d'été

    Où le vent souffle avec la douceur d'une lyre,

    J'entends dans le jardin les petits enfants rire.

     

    Recueil de Victor Hugo,

    L'art d'être grand-père




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