• Les Fleurs du Mal 1890 d’Odilon Redon


    Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

    D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

     

    Le Flacon

     

    Il est de forts parfums pour qui toute matière

    Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.

    En ouvrant un coffret venu de l'Orient

    Dont la serrure grince et rechigne en criant,

     

    Ou dans une maison déserte quelque armoire

    Pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,

    Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

    D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

     

    Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

    Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

    Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

    Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.

     

    Voilà le souvenir enivrant qui voltige

    Dans l'air troublé; les yeux se ferment; le Vertige

    Saisit l'âme vaincue et la pousse à deux mains

    Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

     

    Il la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,

    Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

    Se meut dans son réveil le cadavre spectral

    D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

     

    Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

    Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire

    Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,

    Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

     

    Je serai ton cercueil, aimable pestilence!

    Le témoin de ta force et de ta virulence,

    Cher poison préparé par les anges! Liqueur

    Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur!

    Charles Baudelaire

    Les Fleurs du mal

    SPLEEN ET IDÉAL

     

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  • Les Fleurs du Mal 1890 d’Odilon Redon


    Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,

    Ô vase de tristesse, ô grande taciturne


    La chevelure

     

    Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,

    Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,

    Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,

    Et que tu me parais, ornement de mes nuits,

    Plus ironiquement accumuler les lieues

    Qui séparent mes bras des immensités bleues.

     

    Je m’avance à l’attaque, et je grimpe aux assauts,

    Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux,

    Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !

    Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle !

     

    Charles Baudelaire

    Les Fleurs du mal

    SPLEEN ET IDÉAL

     


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