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Par fathianasr le 31 Janvier 2009 à 10:20
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Poème: “Fragments” de Narcisse Recueil, Charmes de Paul Valéry
Prenant à vos regards cette parfaite proie,
Du monstre de s’aimer faites-vous un captif ;
Dans les errants filets de vos longs cils de soie
Son gracieux éclat vous retienne pensif ;
Mais ne vous flattez pas de le changer d’empire.
Ce cristal est son vrai séjour ;
Les efforts mêmes de l’amour
Ne le sauraient de l’onde extraire qu’il n’expire…
PIRE.
Pire?…
Quelqu’un redit Pire… Ô moqueur !
Écho lointaine est prompte à rendre son oracle !
De son rire enchanté, le roc brise mon cœur,
Et le silence, par miracle,
Cesse !... parle, renaît, sur la face des eaux…
Pire?...
Pire destin !... Vous le dites, roseaux,
Qui reprîtes des vents ma plainte vagabonde !
Antres, qui me rendez mon âme plus profonde,
Vous renflez de votre ombre une voix qui se meurt…
Vous me le murmurez, ramures !... Ô rumeur
Déchirante, et docile aux souffles sans figure,
Votre or léger s’agite , et joue avec l’augure…
Tout se mêle de moi, brutes divinités !
Mes secrets dans les airs sonnent ébruités,
Le roc rit ; l’arbre pleure ; et par sa voix charmante,
Je ne puis jusqu’aux cieux que je ne me lamente
D’appartenir sans force d’éternels attraits !
Hélas ! entre les bras qui naissent des forêts,
Une tendre lueur d’heure ambiguë existe…
Là, d’un reste du jour, se forme un fiancé,
Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste,
Délicieux démon désirable et glacé !
Te voici, mon doux corps de lune et de rosée,
Ô forme obéissante à mes vœux opposée !
Qu’ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains !
Mes lentes mains, dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent ;
Mon cœur jette aux échos l’éclat des noms divins !
Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème !
Ô semblable !… Et pourtant plus parfait que moi-même,
Éphémère immortel, si clair devant mes yeux,
Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,
Faut-il qu’à peine aimés, l’ombre les obscurcisse,
Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,
Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit !
Qu’as-tu ?
Ma plainte même est funeste ?…
Le bruit
Du souffle que j’enseigne à tes lèvres, mon double,
Sur la limpide lame a fait courir un trouble !…
Tu trembles !... Mais ces mots que j’expire à genoux
Ne sont pourtant qu’une âme hésitante entre nous,
Entre ce front si pur et ma lourde mémoire...
Je suis si près de toi que je pourrais te boire,
Ô visage !... Ma soif est un esclave nu...
Jusqu’à ce temps charmant je m’étais inconnu,
Et je ne savais pas me chérir et me joindre !
Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre
Des ombres dans mon cœur se fuyant à regret,
Voir sur mon front l’orage et les feux d’un secret,
Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée
Trahir... peindre sur l’onde une fleur de pensée,
Et quels événements étinceler dans l’œil !
J’y trouve un tel trésor d’impuissance et d’orgueil,
Que nulle vierge enfant échappée au satyre,
Nulle ! aux fuites habiles, aux chutes sans émoi,
Nulle des nymphes, nulle amie, ne m’attire
Comme tu fais sur l’onde, inépuisable Moi !...
II
Fontaine, ma fontaine, eau froidement présente,
Douce aux purs animaux, aux humains complaisante
Qui d’eux-mêmes tentés suivent au fond la mort,
Tout est songe pour toi, Sœur tranquille du Sort !
À peine en souvenir change-t-il un présage,
Que pareille sans cesse à son fuyant visage,
Sitôt de ton sommeil les cieux te sont ravis !
Mais si pure tu sois des êtres que tu vis,
Onde, sur qui les ans passent comme les nues,
Que de choses pourtant doivent t’être connues,
Astres, roses, saisons, les corps et leurs amours !
Claire, mais si profonde, une nymphe toujours
Effleurée, et vivant de tout ce qui l’approche,
Nourrit quelque sagesse à l’abri de sa roche,
À l’ombre de ce jour qu’elle peint sous les bois.
Elle sait à jamais les choses d’une fois ...
Ô présence pensive, eau calme qui recueilles
Tout un sombre trésor de fables et de feuilles,
L’oiseau mort, le fruit mûr, lentement descendus,
Et les rares lueurs des clairs anneaux perdus.
Tu consommes en toi leur perte solennelle ;
Mais, sur la pureté de ta face éternelle,
L’amour passe et périt...Quand le feuillage épars
Tremble, commence à fuir, pleure de toutes parts,
Tu vois du sombre amour s’y mêler la tourmente,
L’amant brûlant et dur ceindre la blanche amante,
Vaincre l’âme... Et tu sais selon quelle douceur
Sa main puissante passe à travers l’épaisseur
Des tresses que répand la nuque précieuse,
S’y repose, et se sent forte et mystérieuse ;
Elle parle à l’épaule et règne sur la chair.
Alors les yeux fermés à l’éternel éther
Ne voient plus que le sang qui dore leurs paupières ;
Sa pourpre redoutable obscurcit les lumières
D’un couple aux pieds confus qui se mêle, et se ment.
Ils gémissent ... La Terre appelle doucement
Ces grands corps chancelants, qui luttent bouche à bouche,
Et qui, du vierge sable osant battre la couche,
Composeront d’amour un monstre qui se meurt ...
Leurs souffles ne font plus qu’une heureuse rumeur,
L’âme croit respirer l’âme toute prochaine,
Mais tu sais mieux que moi, vénérable fontaine,
Quels fruits forment toujours ces moments enchantés !
Car, à peine les cœurs calmes et contentés
D’une ardente alliance expirée en délices,
Des amants détachés tu mires les malices,
Tu vois poindre des jours de mensonges tissus,
Et naître mille maux trop tendrement conçus !
Bientôt, mon onde sage, infidèle et la même,
Le Temps mène ces fous qui crurent que l’on aime
Redire à tes roseaux de plus profonds soupirs !
Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs ...
Sur tes bords, accablés d’ombres et de faiblesse,
Tout éblouis d’un ciel dont la beauté les blesse
Tant il garde l’éclat de leurs jours les plus beaux,
Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux ...
« Cette place dans l’ombre était tranquille et nôtre ! »
« L’autre aimait ce cyprès, se dit le cœur de l’autre,
« Et d’ici, nous goûtions le souffle de la mer ! »
Hélas ! la rose même est amère dans l’air...
Moins amers les parfums des suprêmes fumées
Qu’abandonnent au vent les feuilles consumées !...
Ils respirent ce vent, marchent sans le savoir,
Foulent aux pieds le temps d’un jour de désespoir...
Ô marche lente, prompte, et pareille aux pensées
Qui parlent tour à tour aux têtes insensées !
La caresse et le meurtre hésitent dans leurs mains,
Leur cœur, qui croit se rompre au détour des chemins,
Lutte, et retient à soi son espérance étreinte.
Mais leurs esprits perdus courent ce labyrinthe
Où s’égare celui qui maudit le soleil !
Leur folle solitude, à l’égal du sommeil,
Peuple et trompe l’absence ; et leur secrète oreille
Partout place une voix qui n’a point de pareille.
Rien ne peut dissiper leurs songes absolus ;
Le soleil ne peut rien contre ce qui n’est plus !
Mais s’ils traînent dans l’or leurs yeux secs et funèbres,
Ils se sentent des pleurs défendre leurs ténèbres
Plus chères à jamais que tous les feux du jour !
Et dans ce corps caché tout marqué de l’amour
Que porte amèrement l’âme qui fut heureuse,
Brûle un secret baiser qui la rend furieuse...
Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux
Que de ma seule essence ;
Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux,
Tout autre n’est qu’absence.
Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi !
Le plus beau des mortels ne peut chérir que soi...
Douce et dorée, est-il une idole plus sainte,
De toute une forêt qui se consume, ceinte,
Et sise dans l’azur vivant par tant d’oiseaux ?
Est-il don plus divin de la faveur des eaux,
Et d’un jour qui se meurt plus adorable usage
Que de rendre à mes yeux l’honneur de mon visage ?
Naisse donc entre nous que la lumière unit
De grâce et de silence un échange infini !
Je vous salue, enfant de mon âme et de l’onde,
Cher trésor d’un miroir qui partage le monde !
Ma tendresse y vient boire, et s’enivre de voir
Un désir sur soi-même essayer son pouvoir !
Ô qu’à tous mes souhaits, que vous êtes semblable !
Mais la fragilité vous fait inviolable,
Vous n’êtes que lumière, adorable moitié
D’une amour trop pareille à la faible amitié !
Hélas ! la nymphe même a séparé nos charmes !
Puis-je espérer de toi que de vaines alarmes ?
Qu’ils sont doux les périls que nous pourrions choisir !
Se surprendre soi-même et soi-même saisir,
Nos mains s’entremêler, nos maux s’entre-détruire,
Nos silences longtemps de leurs songes s’instruire,
La même nuit en pleurs confondre nos yeux clos,
Et nos bras refermés sur les mêmes sanglots
Étreindre un même cœur, d’amour prêt à se fondre...
Quitte enfin le silence, ose enfin me répondre,
Bel et cruel Narcisse, inaccessible enfant,
Tout orné de mes biens que la nymphe défend...
III
... Ce corps si pur, sait-il qu’il me puisse séduire?
De quelle profondeur songes-tu de m’instruire,
Habitant de l’abîme, hôte si précieux
D’un ciel sombre ici-bas précipité des cieux?
Ô le frais ornement de ma triste tendance
Qu’un sourire si proche, et plein de confidence,
Et qui prête à ma lèvre une ombre de danger
Jusqu’à me faire craindre un désir étranger !
Quel souffle vient à l’onde offrir ta froide rose !...
« J’aime ... J’aime !... » Et qui donc peut aimer autre chose
Que soi-même ?...
Toi seul, ô mon corps, mon cher corps,
Je t’aime, unique objet qui me défends des morts.
Formons, toi sur ma lèvre, et moi, dans mon silence,
Une prière aux dieux qu’émus de tant d’amour
Sur sa pente de pourpre ils arrêtent le jour !...
Faites, Maîtres heureux, Pères des justes fraudes,
Dites qu’une lueur de rose ou d’émeraudes
Que des songes du soir votre sceptre reprit,
Pure, et toute pareille au plus pur de l’esprit,
Attende, au sein des cieux, que tu vives et veuilles,
Près de moi, mon amour, choisir un lit de feuilles,
Sortir tremblant du flanc de la nymphe au cœur froid,
Et sans quitter mes yeux, sans cesser d’être moi,
Tendre ta forme fraîche, et cette claire écorce...
Oh ! Te saisir enfin !... Prendre ce calme torse
Plus pur que d’une femme et non formé de fruits...
Mais, d’une pierre simple est le temple où je suis,
Où je vis… Car je vis sur tes lèvres avares !...
Ô mon corps, mon cher corps, temple qui me sépares
De ma divinité, je voudrais apaiser
Votre bouche... Et bientôt, je briserais, baiser,
Ce peu qui nous défend de l’extrême existence,
Cette tremblante, frêle, et pieuse distance
Entre moi-même et l’onde, et mon âme, et les dieux !
Adieu... Sens-tu frémir mille flottants adieux?
Bientôt va frissonner le désordre des ombres!
L’arbre aveugle vers l’arbre étend ses membres sombres,
Et cherche affreusement l’arbre qui disparaît...
Mon âme ainsi se perd dans sa propre forêt,
Où la puissance échappe à ses formes suprêmes...
L’âme, l’âme aux yeux noirs, touche aux ténèbres mêmes,
Elle se fait immense et ne rencontre rien...
Entre la mort et soi, quel regard est le sien !
Dieux ! De l’auguste jour, le pâle et tendre reste
Va des jours consumés joindre le sort funeste ;
Il s’abîme aux enfers du profond souvenir !
Hélas ! Corps misérable, il est temps de s’unir...
Penche-toi... Baise-toi. Tremble de tout ton être !
L’insaisissable amour que tu me vins promettre
Passe, et dans un frisson, brise Narcisse, et fuit...
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Par fathianasr le 29 Décembre 2008 à 22:36
Tableau de la Liberté de l'ariste marocain Ahmed Ben Yessef
Le discours de la colombe
(Perception de l’origine ou notes pour un jugement final)
Dans le fond, ta beauté est une dénonciation, un défi. Tu es la colombe qui s’empare de la mémoire, des terrasses, des minarets, qui survole la médina et les siècles…Colombe qui, atteinte parfois d’un coup de pierre ou de mitraille, se réfugie dans les touches d’un tableau, dans les lignes d’une gravure, dans un poème.
L’art t’apaise.
La colombe apporte un message
Son message est une colombe
Colombes de Damas, du Caire, de Palestine ou de Tétouan qui quelquefois se réveillent à l’aurore flamboyante dans un patio ou un jardin de Séville, de Cordoue, de Grenade et s’y perdent dans la multitude. Quand elles rentrent vers leur orient, leurs ailes sont déjà lourdes de nostalgie, elles ne sont plus les mêmes.
Al-Andalus est toujours la patrie spirituelle de ces créateurs qui symbolisent la paix et l’amour, ces créateurs qui dénoncent les injustices. Symboles et métaphores qui enrichissent et configurent notre perception de la réalité. Réalité qui, à son tour, hésite entre symboles et métaphores. Métaphores qui font de sorte que l’espace dans lequel on vit nous soit plus reconnaissable, plus habitable. Après la métaphore, le paysage n’est plus le même.
Il a fallu qu’un beau jour la colombe crée Ben Yessef et le convertisse dans l’axe de son discours, dans le fil conducteur d’une espérance inébranlable. Dans l’œuvre de Ben Yessef, le hasard se déguise en destin et le destin se déguise en hasard, la transparence du langage nous séduit et l’horizon nous abandonne, la chimère est métamorphose et la beauté mutation.
La colombe rayonne parfois par son absence, d’autres par son rôle apparemment secondaire, ou bien par son protagoniste, mais elle nous demande toujours (même depuis son absence) de participer à son désarroi, de nous submerger dans sa beauté.
Quand nous rentrons vers notre orient nous sommes déjà ivres de nostalgie, nous ne sommes plus les mêmes et plus jamais ne le serons. Le langage nous transforme à mesure que nous avançons.
Écrit par Tino Cruz
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