• Deux marocains, tableau D'Eugéne Delacroix dans la campagne

    Un peintre de Génie émerveillé par le Maroc

    Le jeune homme qui, en ce mois de Janvier 1832, se tient debout à la proue du navire qui approche de Tanger, porte de l’Afrique et du Maroc, n’a qu’une idée très vague des civilisations orientales. Il découvrira le Maroc pendant les quelques mois de son séjour et sera définitivement conquis par ce pays attachant, principalement par la qualité de la lumière du ciel. L’éternel conflit entre la lumière et les ombres est si fort qu’il étourdit le peintre. Par Jacques Guilbert.

    Tout commence en 1824 lorsque le jeune Eugène Delacroix du peintre visite l’atelier parisien du peintre Jules-Robert Auguste. Il y découvre des malles rapportées des voyages en orient et débordant d’objets extraordinaires : caftans, Djellabas, cimeterres, longs fusils de fantasia, tapis d’orient…il admire sur des plateaux de cuivre des objets de bimbeloterie et même, dans un coin, une panthère empaillée ! C’est dans ce bric-à-brac de bazar oriental qu’Eugène Delacroix trouve l’inspiration de son tableau, le « MASSACRE DE SCIO », qui sera exposé au salon Carré du Louvre. Mais l’artiste semble insatisfait de son œuvre, il trouve la lumière fausse. En effet, comment rendre l’atmosphère d’un lieu que l’on ne connaît pas ? Une seule réponse : le voyage.

    Dlacroix n’est pas un bourlingueur, pas par manque d’argent, mais par manque d’occasions. Une occasion va lui être donnée par hasard. Duponchel, directeur de l’Opéra de Paris, lui présente Mademoiselle Mars, actrice célèbre et maîtresse en titre du Duc Charles de Mornay, chargé de monter une ambassade pour persuader le Sultan du Maroc, Moulay Abderrahmane de restituer trois navires français pris par les Algériens et retenus dans les ports du MAROC.

    A l’instar de Bonaparte en Égypte, l’ambassadeur veut s’adjoindre la compagnie d’un peintre pour plutôt d’un dessinateur) pour ce périple qui durera pratiquement six mois : Mademoiselle  Mars insiste auprès du Duc de Mornay et Delacroix va participer à l’aventure.

    Article 2: Paris, Toulon…Tanger, LINK


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  • A vingt ans, Alfred de Musset (1810-1857) publia des vers spirituels et colorés : Contes d’Espagne et d’Italie ; à vingt-deux ans, avec la première livraison du Spectacle dans un fauteuil, un conte oriental en vers Namouna, plein d’une charmante fantaisie ; à vingt-quatre ans, ses chefs-d’œuvre dramatiques : Lorenzaccio, On ne badine pas avec l’amour.

     

    Il n’est donc pas étonnant qu’il croie à la force de l’inspiration, à la sensibilité, à la magie du vers. C’est cette idée qu’il défend dans ces strophes de Namouna contre les bourgeois de la Restauration et tous les critiques, qui, étroitement attachés à la sobriété classique, raillent les œuvres romantiques.

    « J’aime surtout les vers » d’Alfred de Musset

     



    Eh bien! En vérité, les sots auront beau dire,

    Quand on n'a pas d'argent, c'est amusant d'écrire.

    Si c'est un passe-temps pour se désennuyer,

    Il vaut bien la bouillotte; et, si c'est un métier,

    Peut-être qu'après tout ce n'en est pas un pire

    Que fille entretenue, avocat ou portier.

     II

     J'aime surtout les vers, cette langue immortelle.

    C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas;

    Mais je l'aime à la rage. Elle a cela pour elle

    Que les sots d'aucun temps n'en ont pu faire cas,

    Qu'elle nous vient de Dieu, qu'elle est limpide et belle,

    Que le monde l'entend, et ne la parle pas.

     III

     Eh bien! Sachez-le donc, vous qui voulez sans cesse

    Mettre votre scalpel dans un couteau de bois;

    Vous qui cherchez l'auteur à de certains endroits,

    Comme un amant heureux cherche, dans son ivresse,

    Sur un billet d'amour les pleurs de sa maîtresse,

    Et rêve, en le lisant, au doux son de sa voix;

     IV

     Sachez-le, - c'est le cœur qui parle et qui soupire

    Lorsque la main écrit, c'est le cœur qui se fond ;

    C'est le cœur qui s'étend, se découvre et respire

    Comme un gai pèlerin sur le sommet d'un mont.

    Et puissiez-vous trouver, quand vous en voudrez rire,

    A dépecer nos vers le plaisir qu'ils nous font!

     V

     Qu'importe leur valeur? La muse est toujours belle,

    Même pour l'insensé, même pour l'impuissant;

    Car sa beauté pour nous, c'est notre amour pour elle.

    Mordez et croassez, corbeaux, battez de l'aile;

    Le poète est au ciel, et lorsqu'en vous poussant

    Il vous y fait monter, c'est qu'il en redescend.

     VI

     Allez, - exercez-vous, débrouillez la quenouille,

    Essoufflez-vous à faire un bœuf d'une grenouille.

    Avant de lire un livre, et de dire: "J'y crois!"

    Analysez la plaie, et fourrez-y les doigts;

    Il faudra de tout temps que l'incrédule y fouille,

    Pour savoir si son Christ est monté sur la croix.

     VII

     Eh! Depuis quand un livre est-il donc autre chose

    Que le rêve d'un jour qu'on raconte un instant;

    Un oiseau qui gazouille et s'envole; une rose

    Qu'on respire et qu'on jette, et qui meurt en tombant; -

    Un ami qu'on aborde, avec lequel on cause,

    Moitié lui répondant, et moitié l'écoutant?

    VIII

     Aujourd'hui, par exemple, il plaît à ma cervelle

    De rimer en sixains le conte que voici.

    Va-t-on le maltraiter et lui chercher querelle?

    Est-ce sa faute, à lui, si je l'écris ainsi?

    "Byron, me direz-vous, m'a servi de modèle."

    Vous ne savez donc pas qu'il imitait Pulci?

     IX

     Lisez les Italiens, vous verrez s'il les vole.

    Rien n'appartient à rien, tout appartient à tous.

    Il faut être ignorant comme un maître d'école

    Pour se flatter de dire une seule parole

    Que personne ici-bas n'ait pu dire avant vous.

    C'est imiter quelqu'un que de planter des choux.

    X

    Ah! Pauvre La forêt, qui ne savais pas lire,

    Quels vigoureux soufflets ton nom seul a donnés

    Au peuple travailleur des discuteurs damnés!

    Molière t'écoutait lorsqu'il venait d'écrire.

    Quel mépris des humains dans le simple et gros rire

    Dont tu lui baptisais ses hardis nouveau-nés!

    XI

     Il ne te lisait pas, dit-on, les vers d'Alceste;

    Si je les avais faits, je te les aurais lus.

    L'esprit et les bons mots auraient été perdus;

    Mais les meilleurs accords de l'instrument céleste

    Seraient allés au cœur comme ils en sont venus.

    J'aurais dit aux bavards du siècle: "A vous le reste."

    XII

     Pourquoi donc les amants veillent-ils nuit et jour?

    Pourquoi donc le poète aime-t-il sa souffrance?

    Que demandent-ils donc tous les deux en retour?

    Une larme, ô mon Dieu, voilà leur récompense;

    Voilà pour eux le ciel, la gloire et l'éloquence,

    Et par là le génie est semblable à l'amour.

     XIII

    Mon premier chant est fait. Je viens de le relire.

    J'ai bien mal expliqué ce que je voulais dire;

    Je n'ai pas dit un mot de ce que j'aurais dit

    Si j'avais fait un plan une heure avant d'écrire;

    Je crève de dégoût, de rage et de dépit.

    Je crois en vérité que j'ai fait de l'esprit.

     XIV

     Deux sortes de roués existent sur la terre:

    L'un, beau comme Satan, froid comme la vipère,

    Hautain, audacieux, plein d'imitation,

    Ne laissant palpiter sur son cœur solitaire

    Que l'écorce d'un homme et de la passion;

    Faisant un manteau d'or à son ambition;

    XV

     Corrompant sans plaisir, amoureux de lui-même,

    Et, pour s'aimer toujours, voulant toujours qu'on l'aime;

    Regardant au soleil son ombre se mouvoir;

    Dès qu'une source est pure, et que l'on peut s'y voir,

    Venant comme Narcisse y pencher son front blême,

    Et chercher la douleur pour s'en faire un miroir.

     XVI

     Son idéal, c'est lui. - Quoi qu'il dise ou qu'il fasse,

    Il se regarde vivre, et s'écoute parler.

    Car il faut que demain on dise, quand il passe:

    "Cet homme que voilà, c'est Robert Lovelace."

    Autour de ce mot-là le monde peut rouler;

    Il est l'axe du monde, et lui permet d'aller.

     XVII

    Avec lui ni procès, ni crainte, ni scandale.

    Il jette un drap mouillé sur son père qui râle;

    Il rôde, en chuchotant, sur la pointe du pied.

    Un amant plus sincère, à la main plus loyale,

    Peut serrer une main trop fort, et l'effrayer;

    Mais lui, n'ayez pas peur de lui, c'est son métier.

    XVIII

     Qui pourrait se vanter d'avoir surpris son âme?

    L'étude de sa vie est d'en cacher le fond...

    On en parle, - on en pleure, on en rit, - qu'en voit-on?

    Quelques duels oubliés, quelques soupirs de femme,

    Quelque joyau de prix sur une épaule infâme,

    Quelque croix de bois noir sur un tombeau sans nom.

     XIX

     Mais comme tout se tait dès qu'il vient à paraître!

    Clarisse l'aperçoit, et commence à souffrir.

     Comme il est beau! Brillant! Comme il s'annonce en maître!

    Si Clarisse s'indigne et tarde à consentir,

    Il dira qu'il se tue, il se tuera peut-être; -

    Mais Clarisse aime mieux le sauver, et mourir.

    XX

     C'est le roué sans cœur, le spectre à double face,

    A la patte de tigre, aux serres de vautour,

    Le roué sérieux qui n'eut jamais d'amour;

    Méprisant la douleur comme la populace;

    Disant au genre humain de lui laisser son jour -

    Et qui serait César, s'il n'était Lovelace.

     XXI

    Ne lui demandez pas s'il est heureux ou non;

    Il n'en sait rien lui-même, il est ce qu'il doit être.

    Il meurt silencieux, tel que Dieu l'a fait naître.

    L'antilope aux yeux bleus est plus tendre peut-être

    Que le roi des forêts; mais le lion répond

    Qu'il n'est pas antilope, et qu'il a nom: lion.

    XXII

     Voilà l'homme d'un siècle, et l'étoile polaire

    Sur qui les écoliers fixent leurs yeux ardents,

    L'homme dont Richardson fera le commentaire,

    Qui donnera sa vie à lire à nos enfants.

    Ses crimes noirciront un large bréviaire,

    Qui brûlera les mains et les cœurs de vingt ans.

    XXIII

     Quant au roué Français, u don Juan ordinaire,

    Ivre, riche, joyeux, raillant l'homme de pierre,

    Ne demandant partout qu'à trouver le vin bon,

    Bernant monsieur Dimanche, et disant à son père

    Qu'il serait mieux assis pour lui faire un sermon,

    C'est l'ombre d'un roué qui ne vaut pas Valmont.

     XXIV

     Il en est un plus grand, plus beau, plus poétique,

    Que personne n'a fait, que Mozart a rêvé,

    Qu'Hoffmann a vu passer, au son de la musique,

    Sous un éclair divin de sa nuit fantastique,

    Admirable portrait qu'il n'a point achevé,

    Et que de notre temps Shakespeare aurait trouvé.

    XXV

     Un jeune homme est assis au bord d'une prairie,

    Pensif comme l'amour, beau comme le génie;

    Sa maîtresse enivrée est prête à s'endormir.

    Il vient d'avoir vingt ans, son cœur vient de s'ouvrir;

    Rameau tremblant encor de l'arbre de la vie,

    Tombé, comme le Christ, pour aimer et souffrir.

     XXVI

     Le voilà se noyant dans des larmes de femme,

    Devant cette nature aussi belle que lui;

    Pressant le monde entier sur son cœur qui se pâme,

    Faible, et, comme le lierre, ayant besoin d'autrui;

    Et ne le cachant pas, et suspendant son âme,

    Comme un luth éolien, aux lèvres de la Nuit.

     XXVII

     Le voilà demandant pourquoi son cœur soupire,

    Jurant, les yeux en pleurs, qu'il ne désire rien;

    Caressant sa maîtresse, et des sons de sa lyre

    Egayant son sommeil comme un ange gardien;

    Tendant sa coupe d'or à ceux qu'il voit sourire,

    Voulant voir leur bonheur pour y chercher le sien.

     XXVIII

     Le voilà, jeune et beau, sous le ciel de la France,

    Déjà riche à vingt ans comme un enfouisseur;

    Portant sur la nature un cœur plein d'espérance,

    Aimant, aimé de tous, ouvert comme une fleur;

    Si candide et si frais que l'ange d'innocence

    Baiserait sur son front la beauté de son cœur.

     XXIX

     Le voilà, regardez, devinez-lui sa vie.

    Quel sort peut-on prédire à cet enfant du ciel?

    L'amour en l'approchant jure d'être éternel;

    Le hasard pense à lui, la sainte poésie

    Retourne en souriant sa coupe d'ambroisie

    Sur ses cheveux plus doux et plus blonds que le miel.

     XXX

     Ce palais, c'est le sien; le cerf et la campagne

    Sont à lui; la forêt, le fleuve et la montagne

    Ont retenu son nom en écoutant l'écho.

    C'est à lui le village, et le pâle troupeau

    Des moines. Quand il passe et traverse un hameau,

    Le bon ange du lieu se lève et l'accompagne.

     XXXI

     Quatre filles de prince ont demandé sa main.

    Sachez que s'il voulait la reine pour maîtresse,

    Et trois palais de plus, il les aurait demain;

    Qu'un juif deviendrait chauve à compter sa richesse,

    Et qu'il pourrait jeter, sans que rien en paraisse,

    Les blés de ses moissons aux oiseaux du chemin.

     XXXII

     Eh bien! Cet homme-là vivra dans les tavernes

    Entre deux charbonniers autour d'un poêle assis;

    La poudre noircira sa barbe et ses sourcils;

    Vous le verrez un jour, tremblant et les yeux ternes,

    Venir dans son manteau dormir sous les lanternes,

    La face ensanglantée et les coudes noircis.

    XXXIII

     Vous le verrez sauter sur l'échelle dorée,

    Pour courir dans un bouge au sortir d'un boudoir

    Portant sa lèvre ardente à la prostituée,

    Avant qu'à son balcon done Elvire éplorée,

    Dans la profonde nuit croyant encor le voir,

    Ait cessé d'agiter sa lampe et son mouchoir.

     XXXIV

     Vous le verrez, laquais pour une chambrière,

    Cachant sous ses habits son valet grelottant;

    Vous le verrez, tranquille et froid comme une pierre,

    Pousser dans les ruisseaux le cadavre d'un père,

    Et laisser le vieillard traîner ses mains de sang

     Sur des murs chauds encor du viol de son enfant.

     XXXV

    Que direz-vous alors? Ah! Vous croirez peut-être

    Que le monde a blessé ce cœur vaste et hautain,

    Que c'est quelque Lara qui se sent méconnaître,

    Que l'homme a mal jugé, qui sait ce qu'il peut être,

    Et qui, s'apercevant qu'il le serait en vain,

    Rend haine contre haine et dédain pour dédain.

     XXXVI

     Eh bien! Vous vous trompez. Jamais personne au monde

    N'a pensé moins que lui qu'il était oublié.

    Jamais il n'a frappé sans qu'on ne lui réponde;

    Jamais il n'a senti l'inconstance de l'onde,

    Et jamais il n'a vu se dresser sous son pié

    Le vivace serpent de la fausse amitié.

    XXXVII

     Que dis-je? Tel qu'il est, le monde l'aime encore;

    Il n'a perdu chez lui ni ses biens ni son rang.

    Devant Dieu, devant tous, il s'assoit à son banc.

    Ce qu'il a fait de mal, personne ne l'ignore;

    On connaît son génie, on l'admire, on l'honore. -

    Seulement, voyez-vous, cet homme, c'est don Juan.

     XXXVIII

    Oui, don Juan. Le voilà, ce nom que tout répète,

    Ce nom mystérieux que tout l'univers prend,

    Dont chacun vient parler, et que nul ne comprend;

    Si vaste et si puissant qu'il n'est pas de poète

    Qui ne l'ait soulevé dans son cœur et sa tête,

    Et pour l'avoir tenté ne soit resté plus grand.

     XXXIX

     Insensé que je suis! Que fais-je ici moi-même?

    Etait-ce donc mon tour de leur parler de toi,

    Grande ombre, et d'où viens-tu pour tomber jusqu'à moi?

    C'est qu'avec leurs horreurs, leur doute et leur blasphème,

    Pas un d'eux ne t'aimait, don Juan; et moi, je t'aime

    Comme le vieux Blondel aimait son pauvre roi.

     XL

     Oh! Qui me jettera sur ton coursier rapide!

    Oh! Qui me prêtera le manteau voyageur,

    Pour te suivre en pleurant, candide corrupteur!

    Qui me déroulera cette liste homicide,

    Cette liste d'amour si remplie et si vide,

    Et que ta main peuplait des oublis de ton cœur!

     XLI

     Trois mille noms charmants! Trois mille noms de femme!

    Pas un qu'avec des pleurs tu n'aies balbutié!

    Et ce foyer d'amour qui dévorait ton âme,

    Qui, lorsque tu mourus, de tes veines de flamme

    Remonta dans le ciel comme un ange oublié,

    De ces trois mille amours pas un qui l'ait noyé!

     XLII

     Elles t'aimaient pourtant, ces filles insensées

    Que sur ton cœur de fer tu pressas tour à tour;

    Le vent qui t'emportait les avait traversées;

    Elles t'aimaient, don Juan, ces pauvres délaissées

    Qui couvraient de baisers l'ombre de ton amour,

    Qui te donnaient leur vie, et qui n'avaient qu'un jour!

    XLIII

     Mais toi, spectre énervé, toi, que faisais-tu d'elles?

    Ah! Massacre et malheur! Tu les aimais aussi,

    Toi! Croyant toujours voir sur tes amours nouvelles

    Se lever le soleil de tes nuits éternelles,

     Te disant chaque soir: "Peut-être le voici",

    Et l'attendant toujours, et vieillissant ainsi!

    Demandant aux forêts, à la mer, à la plaine,

    Aux brises du matin, à toute heure, à tout lieu,

    La femme de ton âme et de ton premier vœu!

    Prenant pour fiancée un rêve, une ombre vaine,

    Et fouillant dans le cœur d'une hécatombe humaine,

    Prêtre désespéré, pour y chercher ton Dieu.

    XLV

     Et que voulais-tu donc? Voilà ce que le monde

    Au bout de trois cents ans demande encor tout bas.

    Le sphinx aux yeux perçants attend qu'on lui réponde.

    Ils savent compter l'heure, et que leur terre est ronde,

    Ils marchent dans leur ciel sur le bout d'un compas,

    Mais ce que tu voulais, ils ne le savent pas.

    XLVI

     "Quelle est donc, disent-ils, cette femme inconnue,

    Qui seule eût mis la main au frein de son coursier?

    Qu'il appelait toujours et qui n'est pas venue?

    Où l'avait-il trouvée? Où l'avait-il perdue?

     Et quel nœud si puissant avait su les lier,

    Que, n'ayant pu venir, il n'ait pu l'oublier?

     XLVII

     N'en était-il pas une, ou plus noble, ou plus belle,

    Parmi tant de beautés, qui, de loin ou de près,

    De son vague idéal eût du moins quelques traits?

    Que ne la gardait-il! Qu’on nous dise laquelle."

    Toutes lui ressemblaient, ce n'était jamais elle;

    Toutes lui ressemblaient, don Juan, et tu marchais!

     XLVIII

     Tu ne t'es pas lassé de parcourir la terre!

    Ce vain fantôme, à qui Dieu t'avait envoyé,

    Tu n'en as pas brisé la forme sous ton pié!

    Tu n'es pas remonté, comme l'aigle à son aire

    Sans avoir sa pâture, ou comme le tonnerre

    Dans sa nue aux flancs d'or, sans avoir foudroyé!

    XLIX

     Tu n'as jamais me dit de ce monde stupide

    Qui te dévisageait d'un regard hébété;

    Tu l'as vu, tel qu'il est, dans sa difformité;

    Et tu montais toujours cette montagne aride,

    Et tu suçais toujours, plus jeune et plus avide,

    Les mamelles d'airain de la Réalité.

    L

     Et la vierge aux yeux bleus, sur la souple ottomane,

    Dans ses bras parfumés te berçait mollement;

    De la fille de roi jusqu'à la paysanne

    Tu ne méprisais rien, même la courtisane,

    A qui tu disputais son misérable amant;

    Mineur, qui dans un puits cherchais un diamant.

     LI

     Tu parcourais Madrid, Paris, Naples et Florence;

    Grand seigneur aux palais, voleur aux carrefours;

    Ne comptant ni l'argent, ni les nuits, ni les jours;

    Apprenant du passant à chanter sa romance;

    Ne demandant à Dieu, pour aimer l'existence,

    Que ton large horizon et tes larges amours.

     LII

     Tu retrouvais partout la vérité hideuse,

    Jamais ce qu'ici-bas cherchaient tes vœux ardents,

    Partout l'hydre éternelle qui te montrait les dents;

    Et poursuivant toujours ta vie aventureuse,

    Regardant sous tes pieds cette mer orageuse,

    Tu te disais tout bas: "Ma perle est là dedans."

    LIII

    Tu mourus plein d'espoir dans ta route infinie,

    Et te souciant peu de laisser ici-bas

    Des larmes et du sang aux traces de tes pas.

    Plus vaste que le ciel et plus grand que la vie,

    Tu perdis ta beauté, ta gloire et ton génie

    Pour un être impossible, et qui n'existait pas.

    LIV

    Et le jour que parut le convive de pierre,

    Tu vins à sa rencontre, et lui tendis la main;

    Tu tombas foudroyé sur ton dernier festin:

    Symbole merveilleux de l'homme sur la terre,

    Cherchant de ta main gauche à soulever ton verre,

    Abandonnant ta droite à celle du Destin!

     LV

     Maintenant, c'est à toi, lecteur, de reconnaître

    Dans quel gouffre sans fond peut descendre ici-bas

    Le rêveur insensé qui voudrait d'un tel maître.

    Je ne dirai qu'un mot, et tu le comprendras:

    Ce que don Juan aimait, Hassan l'aimait peut-être;

    Ce que don Juan cherchait, Hassan n'y croyait pas.


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