• MELANCHOLIA

    VI

    MON RÊVE FAMILIER

     Paul Verlaine 


    Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

    D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,

    Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même

    Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

     

    Car elle me comprend, et mon coeur, transparent

    Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème

    Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

    Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

     

    Est-elle brune, blonde ou rousse? —Je l'ignore.

    Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,

    Comme ceux des aimés que la Vie exila.

     

    Son regard est pareil au regard des statues,

    Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave; elle a

    L'inflexion des voix chères qui se sont tues.


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  • MELANCHOLIA

    A Ernest Boutier.

    V

    LASSITUDE

    A batallas de amor campo de pluma.

    (CONGORA)

    Paul Verlaine 

     

    De la douceur, de la douceur, de la douceur!

    Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.

    Même au fort du déduit, parfois, vois-tu, l'amante

    Doit avoir l'abandon paisible de la soeur.

     

    Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,

    Bien égaux les soupirs et ton regard berceur.

    Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur

    Ne valent pas un long baiser, même qui mente!

     

    Mais dans ton cher coeur d'or, me dis-tu, mon enfant,

    La fauve passion va sonnant l'oliphant.

    Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse!

     

    Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,

    Et fais-moi des serments que tu rompras demain,

    Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse!


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