• PAYSAGES TRISTES

    A Catulle Mendès.

    I

    SOLEILS COUCHANTS

     

    Une aube affaiblie

    Verse par les champs

    La mélancolie

    Des soleils couchants.

     

    La mélancolie

    Berce de doux chants

    Mon coeur qui s'oublie

    Aux soleils couchants.

     

    Et d'étranges rêves,

    Comme des soleils

    Couchants, sur les grèves,

    Fantômes vermeils,

     

    Défilent sans trêves,

    Défilent, pareils

    A des grands soleils

    Couchants, sur les grèves.

     

    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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  • Les poèmes Saturniens en référence à Saturne, planète de la mélancolie : constituent le premier recueil de poèmes du Prince des Poètes Paul Verlaine  encore sous l’influence des Parnassiens (certains poèmes sont publiés dans le Parnasse contemporain du 28 avril 1866), mais aussi de Baudelaire, de Gautier et de Banville. Mais déjà la voix de Paul Verlaine s’y fait entendre ; sa vie est déjà perturbée par l’alcoolisme et il vient de perdre son père (1865).

    On trouve exprimée dans les Poèmes Saturniens une sorte d’inquiétude diffuse ou exacerbée:

     

    Melancholia

    VII

    A une femme

    Oh je souffre, je souffre affreusement »


    Paul Verlaine  exprime d’ailleurs lui-même le sens qu’il donne au titre de son recueil :

    « Or ceux-là qui sont nés sous le signe Saturne […]

    Ont entre tous, d’après les grimoires anciens,

    Bonne part de malheur et bonne part de bile.

    L’imagination, inquiète et débile,

    Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison ».

    (Les sages d’autrefois)


    Poèmes saturniens qui se composent d’un prologue. suivi de quatre ensembles de cinq à huit poèmes chacun (Melancholia, Eaux-fortes, Paysages tristes et Caprices), puis de douze pièces isolées, et enfin d’un épilogue. Il n’y a pas de parenté strophique ou métrique d’un poème à l’autre, y compris à l’intérieur d'un même ensemble. Ce recueil est traditionnellement désigné comme parnassien, tant par la critique que par le poète lui-même. Toutefois, à maintes reprises les particularités stylistiques de Verlaine, qu’il codifiera ultérieurement dans son « Art poétique » (Jadis et Naguère, 1884), viennent mettre en cause cette filiation trop voyante : rejets et contre-rejets, accélération du rythme, ironie en sont autant de traits.           

    Une mise en scène de la douleur

    À travers ce recueil, le poète, qui se place sous le signe de Saturne, exhibe son malheur en créant dans ses pièces une atmosphère mélancolique :

     

    Les CAPRICES

    II

    JÉSUITISME

    A Henry Winter.

       

    Le chagrin qui me tue est ironique, et joint

    Le sarcasme au supplice, et ne torture point

    Franchement, mais picote avec un faux sourire

    Et transforme en spectacle amusant mon martyre…

     

     

    Par-delà les motifs propres à chaque ensemble, on relève la récurrence de la peinture de l’amour malheureux, de la mélancolie et de la solitude. Melancholia, qui comprend le très célèbre poème :


    Melancholia

    VI

    MON RÊVE FAMILIER

     

    Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

    D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,

    Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même

    Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

     

     « Mon rêve familier » est ainsi consacré à l’amour enfui ou impossible, à ses souffrances, à ses mensonges. Les Paysages tristes, quant à eux, sont des rêveries poétiques autour de la lumière du couchant, dont l’ambiance crépusculaire est l’image de la souffrance et de la solitude :


    CHANSON D'AUTOMNE

     

    Les sanglots longs

    Des violons

    De l'automne

    Blessent mon coeur

    D'une langueur

    Monotone.

     

    Tout suffocant

    Et blême, quand

    Sonne l'heure,

    Je me souviens

    Des jours anciens

    Et je pleure;

     

    Et je m'en vais

    Au vent mauvais

    Qui m'emporte

    Deçà, delà,

    Pareil à la

    Feuille morte.

     

    Dans les Caprices, enfin, sont croquées des figures de femmes empreintes de duplicité, affichant tour à tour la fausseté féline (« Femme et chatte »), la froideur (« Une grande dame ») ou la prétendue ingénuité (« la Chanson des ingénues »).

     

    Picturalité

     

    Dans ces Poèmes saturniens, Verlaine se réfère assez largement à la peinture. Les pièces regroupées sous le vocable pictural d’Eaux-fortes en particulier sont à comprendre comme une série de tableaux illustrant chacun un type de représentation graphique (« Croquis parisien », « Marine», « Grotesques.»). D’une manière plus générale, son art poétique repose ici essentiellement sur l’évocation picturale d’un paysage, d’un personnage ou d’une scène :

    Les couleurs vives qui animent «L'heure du Berger» L’illustrent nettement :

    La lune est rouge au brumeux horizon;

        Dans un brouillard qui danse, la prairie...


    Ou les gris et noirs qui composent « Effet de Nuit »:

    La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette

    De flèches et de tours à jour la silhouette

    D'une ville gothique éteinte au lointain gris.

    La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris

     

    Enfin dans « Nuit du Walpurgis classique », le poète clôt avec humour la description du décor de la scène de sabbat par ce commentaire :

    S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,

    Diaphanes, et que le clair de lune fait

    Opalines parmi l'ombre verte des branches,

    —Un Watteau rêvé par Raffet!—

     

     

    Dans un esprit certes bien différent de celui des légères Fêtes galantes (1869), le poète inaugure ainsi ici une des techniques fondatrices de son œuvre à venir.




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