• PAYSAGES TRISTES

    V

    CHANSON

    D'AUTOMNE

     

    Les sanglots longs

    Des violons

    De l'automne

    Blessent mon coeur

    D'une langueur

    Monotone.

     

    Tout suffocant

    Et blême, quand

    Sonne l'heure,

    Je me souviens

    Des jours anciens

    Et je pleure;

     

    Et je m'en vais

    Au vent mauvais

    Qui m'emporte

    Deçà, delà,

    Pareil à la

    Feuille morte.


    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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  • PAYSAGES TRISTES

    IV

    NUIT DU WALPURGIS

     CLASSIQUE

     

    C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre.

    Un rythmique sabbat, rythmique, extrêmement

    Rythmique. —Imaginez un jardin de Lenôtre,

    Correct, ridicule et charmant.

     

    Des ronds-points; au milieu, des jets d'eau; des allées

    Toutes droites; sylvains de marbre; dieux marins

    De bronze; çà et là, des Vénus étalées;

    Des quinconces, des boulingrins;

     

    Des châtaigniers; des plants de fleurs formant la dune;

    Ici, des rosiers nains qu'un goût docte effila;

    Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune

    D'un soir d'été sur tout cela.

     

    Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique

    Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air

    De chasse: tel, doux, lent, sourd et mélancolique,

    L'air de chasse de Tannhäuser.

     

    Des chants voilés de cors lointains où la tendresse

    Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords

    Harmonieusement dissonants dans l'ivresse;

    Et voici qu'à l'appel des cors

     

    S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,

    Diaphanes, et que le clair de lune fait

    Opalines parmi l'ombre verte des branches,

    —Un Watteau rêvé par Raffet!—

     

    S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres

    D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond;

    Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres

    Très lentement dansent en rond.

     

    —Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée

    Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,

    Ces spectres agités en tourbe cadencée,

    Ou bien tout simplement des morts?

     

    Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu'invite

    L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée, —hein? —tous

    Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,

    Ou bien des morts qui seraient fous? —

     

    N'importe! ils vont toujours, les fébriles fantômes,

    Menant leur ronde vaste et morne et tressautant

    Comme dans un rayon de soleil des atomes,

    Et s'évaporent à l'instant

     

    Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre

    Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument

    Plus rien—absolument—qu'un jardin de Lenôtre,

    Correct, ridicule et charmant.

     

    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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