• PAYSAGES TRISTES

    VII

    LE ROSSIGNOL

     

    Comme un vol criard d'oiseaux en émoi,

    Tous mes souvenirs s'abattent sur moi,

    S'abattent parmi le feuillage jaune

    De mon coeur mirant son tronc plié d'aune

     

    Au tain violet de l'eau des Regrets,

    Qui mélancoliquement coule auprès,

    S'abattent, et puis la rumeur mauvaise

    Qu'une brise moite en montant apaise,

     

    S'éteint par degrés dans l'arbre, si bien

    Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien,

    Plus rien que la voix célébrant l'Absente,

    Plus rien que la voix, —ô si languissante!—

     

    De l'oiseau qui fut mon Premier Amour,

    Et qui chante encor comme au premier jour;

    Et, dans la splendeur triste d'une lune

    Se levant blafarde et solennelle, une

     

    Nuit mélancolique et lourde d'été,

    Pleine de silence et d'obscurité,

    Berce sur l'azur qu'un vent doux effleure

    L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure.


    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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  • PAYSAGES TRISTES

    VI

    L'HEURE DU BERGER

     

    La lune est rouge au brumeux horizon;

    Dans un brouillard qui danse, la prairie

    S'endort fumeuse, et la grenouille crie

    Par les joncs verts où circule un frisson;

     

    Les fleurs des eaux referment leurs corolles,

    Des peupliers profilent aux lointains,

    Droits et serrés, leurs spectres incertains;

    Vers les buissons errent les lucioles;

     

    Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit

    Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes,

    Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes.

    Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.

     

    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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