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    L'Amour apporte la joie aux créatures 

    Il est la source du bonheur infini 

    Car ce n'est pas notre mère qui nous donne la vie, 

    Mais c'est bien l'Amour. 

    Louanges et miséricorde sur cette mère véritable !

     

    La voie de l'Amour est un mystère, 

    En elle il n'y a point de querelle, 

    Pas d'autres qualités que la profondeur des choses. 

    A l'amoureux il n'est pas permis de parler 

    Car il s'agit de non-existence1 et non pas d'existence.

     

    Je possède un Amour plus pur qu'une eau limpide. 

    Un tel Amour est nourriture licite pour chacun. 

    Alors que l'amour des autres est toujours changeant, 

    L'Amour pour mon Bien-Aimé est de toute éternité.

     

    C'est l'Amour qui détient le secret des Lumières 

    C'est un nuage porteur de cent mille éclairs. 

    Dans le tréfonds de mon être réside la mer de sa gloire 

    Toutes les créatures sont noyées en cette mer.

     

    Le cœur de l'homme est une chandelle prête à se consumer 

    La déchirure due à la séparation d'avec le Bien-Aimé 

    Peut-elle être recousue ? 

    Ô toi qui ignores la patience et la brûlure 

    Tu ne peux rien connaître de l'Amour avant qu'il n'ait touché ton cœur.

     

    L'Amour est apparu et il est désormais Le sang coulant dans mes veines, 

    Il m'a anéanti et m'a rempli du Bien-Aimé 

    Qui a pénétré toutes les parcelles de mon corps. 

    De moi ne reste plus qu'un nom, tout le reste est Lui.

     

    L'Amour est apparu et a éclipsé tous les autres amours, 

    Je me suis consumé et mes propres cendres sont devenues vie. 

    Par le seul désir d'une nouvelle brûlure 

    Elles se sont manifestées sous d'innombrables visages.

     

    Dans la voie de l'Amour il faut avancer pas à pas, 

    Pourtant le seul pas véritable provient de l'Eternel. 

    Dans la demeure de la non-existence 

    Se cachent en fait beaucoup de vies 

    Ouvre donc les yeux : partout est la non-existence !

     

    Ô toi2 dont l'Amour est l'essence de tout émerveillement 

    Ce qu'apporte ton Amour est total bouleversement. 

    Combien de temps m'interrogeras-tu sur l'état de mon cœur brûlé 

    Alors que, de toute évidence, 

    Tu le connais mieux que moi-même ?

     

    Lorsque mon essence se transformera en océan universel 

    La beauté des atomes sera pour moi source de Lumière. 

    C'est pourquoi je brûle comme la chandelle, 

    Afin que, dans la voie de l'Amour, 

    Tous les instants deviennent un seul instant.

     

    Le corps est amoureux de l'âme, 

    Et l'âme amoureuse du corps. 

    Je suis amoureux de l'Amour 

    Et l'Amour est amoureux de moi. 

    Parfois c'est moi qui le saisis de mes mains 

    Parfois c'est Lui qui s'agrippe à mes habits.

     

    Si tu es amoureux, reste en compagnie de ton semblable 

    Jour et nuit, prends place dans le cercle3 des amoureux ! 

    Ainsi, quand tu auras trouvé ce cercle, 

    Abandonne le monde et laisse entrer en toi 

    La présence de son Créateur.

     

    Jalâl al-Dîn Rûmi

     

    1 Ce terme désigne le principe métaphysique duquel est issu toute forme d'existence visible ou invisible.

    2 Il s'agit ici d'une référence au guide spirituel dont le degré de réalisation intérieure permet de percer les secrets enfouis au plus profond des êtres.

    3 Ce cercle désigne l'assemblée des disciples soufis lors de l'accomplissement du rituel collectif.

     

     

    Source


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    O Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

     

    O Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    O Dieu, qu’est-ce que l’homme ?...

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    Rien que chair et sang.

    Ses jours - l’ombre passant,

    L’errance, qu’il ignore...

    Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.

     

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    Glaise sale et foulée,

    Infestée d’immondice,

    De tromperie, de vice,

    Bouton de fleur fané,

    Flétri sous le soleil !

    Si tu lui rappelais

    Ses fautes enfouies,

    Ta colère et Ton ire

    Les pourrait-il souffrir ?

    Aussi grâce et pitié, car il n’est pas si fort...

    Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.

     

    ***

     

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    Baignant dedans sa boue,

    Un menteur qui se loue,

    De vanité un fou !

    Le pur d’impur sort-il

    Ou le précieux du vil ?

    Si tu lui rappelais

    Ses penchants si mauvais,

    Il se dessécherait

    Tel un brin d’herbe folle...

    Aussi grâce et pitié à l’instant de sa mort !

     

    ***

     

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    Incorrigible orgueil,

    Buvant les eaux du deuil,

    Mâchant un méchant pain,

    Un océan sans frein,

    Un four de chaleur brute !

    Si tu lui rappelais

    De son péché le rut,

    Il serait terrassé,

    Face au fort - harassé !

    Aussi grâce et pitié, pardonne-lui encore...

    Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.

     

    ***

     

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    Rien que de la souillure,

    Forfaiture farouche,

    Calomnies à la bouche...

    Si tu lui rappelais

    Ses méfaits, son cloaque,

    Il ne serait que loques,

    Partirait en fumée...

    Aussi grâce et pardon,

    Pitié, absolution !

    Mannequin de limon dont poussière est le corps...

    Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.

     

     ***

     

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    Oui, un arbre mité,

    Et lorsque vient la mort,

    Un fétu éclaté !

    Ses joies de pleurs il baigne

    Quand il pourrit de teigne...

    Si tu lui rappelais

    De ses péchés la masse,

    Il deviendrait limace,

    De la cire fondue !

    Aussi grâce et pitié, clémence pour ses torts !

    Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.

     

     ***

     

    Ô Dieu, qu’est-ce que l’homme ?

    La feuille au vent qui vole,

    Un poids sur la balance

    Pesant l'insignifiance,

    Volière à mensonge

    Comme en cage mésanges...

    Pourrais-tu donc penser

    À sévir contre lui,

    Fumée qui s’évanouit,

    Bois vermoulu, moisi ?

    Gracie-les à ton aune, et non pas à la leur !

    Soudain son heure vient : il se couche et s’endort.

     

     

     

    Poème liturgique de Salomon Ibn Gabirol (1020-1057),

     

    Le plus grand poète hébreux andalou


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