• Caprices

    III

    LA CHANSON DES INGÉNUES

     

    Nous sommes les Ingénues

    Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,

    Qui vivons, presque inconnues,

    Dans les romans qu'on lit peu.

     

    Nous allons entrelacées,

    Et le jour n'est pas plus pur

    Que le fond de nos pensées,

    Et nos rêves sont d'azur;

     

    Et nous courons par les prés

    Et rions et babillons

    Des aubes jusqu'aux vesprées,

    Et chassons aux papillons;

     

    Et des chapeaux de bergères

    Défendent notre fraîcheur,

    Et nos robes—si légères—

    Sont d'une extrême blancheur;

     

    Les Richelieux, les Caussades

    Et les chevaliers Faublas

    Nous prodiguent les oeillades,

    Les saluts et les «hélas!»

     

    Mais en vain, et leurs mimiques

    Se viennent casser le nez

    Devant les plis ironiques

    De nos jupons détournés;

     

    Et notre candeur se raille

    Des imaginations

    De ces raseurs de muraille,

    Bien que parfois nous sentions

     

    Battre nos coeurs sous nos mantes

    A des pensers clandestins,

    En nous sachant les amantes

    Futures des libertins.


    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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  • CAPRICES

    II

    JÉSUITISME

     

    Le chagrin qui me tue est ironique, et joint

    Le sarcasme au supplice, et ne torture point

    Franchement, mais picote avec un faux sourire

    Et transforme en spectacle amusant mon martyre,

     

    Et sur la bière où gît mon Rêve mi-pourri,

    Beugle un De profundis sur l'air du Traderi.

    C'est un Tartufe qui, tout en mettant des roses

    Pompons sur les autels des Madones moroses,

     

    Tout en faisant chanter à des enfants de choeurs

    Ces cantiques d'eau tiède où se baigne le coeur,

    Tout en ami donnant ces guimpes amoureuses

    Qui serpentent au coeur sacré des Bienheureuses,

     

    Tout en disant à voix basse son chapelet,

    Tout en passant la main sur son petit collet,

    Tout en parlant avec componction de l'âme,

    N'en médite pas moins ma ruine, —l'infâme!


    Paul Verlaine

    Les poèmes saturniens


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